Par Guillaume Dubost, président d’Agora Erasmus
Lundi 28 janvier 2013 - Puisque le sujet est à l’ordre du jour en France et dans de nombreux pays, il est utile d’examiner ici le précédent historique de la séparation des banques adoptée en 1934 en Belgique, précédent qui peut et doit nous inspirer pour mettre hors état de nuire une « finance folle » qui nous conduit dans le mur.
Le contexte
En octobre 1929, le krach financier de Wall Street s’étend au monde entier. La Belgique compte près de 300.000 chômeurs ; les banques de leur côté connaissent de grosses difficultés de trésorerie, la Banque Belge du Travail – présidée par Edouard Anseele, ancien ministre socialiste – et le Boerenbond – représentant du milieu agricole flamand – doivent demander l’intervention de l’Etat pour sauver l’épargne de leur clients. Sans être aussi menacées, les autres banques belges voient leurs liquidités gelées dans des activités industrielles incapables de faire face à leurs engagements et épuisent leur marge d’avances à la Banque Nationale. Pour faire face, le gouvernement Jules Renkin (1862-1934) tente d’imposer des mesures impopulaires visant à faire payer les frais de la crise au peuple, aggravant ainsi la crise.
Les libéraux, pourtant représentés au gouvernement, réclament la dissolution du parlement ; le roi retire alors sa confiance à Renkin et rappelle Charles de Broqueville (1860-1940) pour présider le Conseil. Le Roi Albert I, protecteur d’Albert Einstein et à l’écoute de tout ce qu’apporte Franklin Roosevelt, missionne le Premier ministre De Broqueville afin de réorganiser le crédit et le système bancaire, à l’instar du modèle du Glass-Steagall Act adopté aux Etats-Unis en 1933.
Le 17 février 1934, lors d’une escalade à Marche-les-Dames, Albert I décède dans des conditions restant à élucider. Le 6 mars, De Broqueville fait un discours au Sénat sur la nécessité de faire son deuil du Traité de Versailles et d’arriver à une entente des alliés de 1914-1918 avec l’Allemagne sur le désarmement, faute de quoi on irait vers une nouvelle guerre.
De Broqueville entame ensuite avec énergie la réforme. Ainsi, le 22 août 1934 sont promulgués plusieurs Arrêtés Royaux [1] qui illustrent la volonté du gouvernement de reprendre le contrôle sur les questions économiques, dont celui qui nous intéresse spécialement ici. Il s’agit de l’Arrêté n°2 du 22 août 1934, relatif à la protection de l’épargne et de l’activité bancaire, imposant une scission en sociétés distinctes, entre banques de dépôt et banques d’affaire et de marché.
Réforme du crédit et des banques
Avant de vous présenter ce texte, il est utile de lire le discours, prononcé devant les actionnaires, du gouverneur de la Banque nationale de Belgique précisant la double réforme décidée par le gouvernement, celle du crédit et de la structure des banques (Bulletin d’information et de documentation du 25 août 1934, IXe année, Vol. II, N° 4). Les deux mesures, affirme-t-il, alors que les banquiers sont furieux, « ont été accueillies avec sympathie par l’opinion et sont assurées de l’adhésion éclairée des milieux compétents ».
Au niveau du crédit, il constate d’abord que « Le taux de l’argent à moyen et à long terme et au moins d’une partie du crédit bancaire est resté trop élevé chez nous. Où se trouvent les causes de ce renchérissement ? En partie dans les appels étendus et fréquents faits par le Gouvernement et les autres pouvoirs publics à l’emprunt, surtout par suite des conséquences de la guerre et de leurs multiples réactions. Elle se trouve aussi dans les excès de la spéculation, qui jadis ont drainé les fonds vers les titres à revenus variables, et dans la crise, qui depuis a épuisé les réserves et immobilisé beaucoup de capitaux de banque, empruntés originairement à court terme, et enfin dans les charges fiscales grevant les opérations financières et notamment les comptes de banque et les obligations. (…) Les mesures prises vont réduire à 4,25 % l’intérêt d’une partie des capitaux empruntés par l’industrie. Cette réduction est importante en elle-même puisqu’elle porte sur des taux de 6 et 7 % et au-delà. »
Ensuite, affirme le gouverneur, « une seconde réforme non moins importante, relative à l’organisation même des banques, recueille également dans les milieux intéressés un concours complet. De tout temps les banques belges ont apporté leur appui à l’industrie et ce fut pour celle-ci un bienfait ; mais depuis une trentaine d’années et surtout depuis la guerre, l’interpénétration entre les grandes industries et les banques s’était considérablement développée et avait soulevé de plus en plus de critiques. On a notamment fait observer qu’en temps de prospérité elle était apparue comme une emprise trop grande de la finance sur l’industrie ; mais en temps de crise elle s’était révélée comme une hypothèque trop lourde de l’industrie sur les banques.
La nouvelle législation crée à cet égard une juste distinction de fonctions. Elle sépare la banque proprement dite, c’est-à-dire la banque de dépôt qui tient le marché de l’argent à court terme, de la banque d’affaires, du trust, du holding ou du pool, qui groupent des industries, coordonnent leur activité et veillent à leurs besoins financiers. Seule la banque commerciale s’occupant exclusivement d’opérations financières à court terme, c’est-à-dire travaillant les capitaux liquides ou aisément liquidables, pourra habituellement recevoir les dépôts du public. Cette distinction est sage, elle est à la base du système bancaire anglais ; elle est largement pratiquée en France et en Hollande et vient d’être introduite aux Etats-Unis. Le délai laissé pour l’application de la mesure est raisonnable, et l’expérience permettra de suivre la réforme et de l’aménager s’il y a lieu. »
Le gouvernement des banquiers
En novembre 1934, le gouvernement s’effondre. Le 21 novembre, le quotidien socialiste Le Peuple annonce la formation d’un nouveau gouvernement associant catholiques et libéraux au pouvoir en titrant : « La Société Générale ouvre une nouvelle filiale ». Le Premier Ministre, George Theunis, avait été administrateur délégué des ACEC (Groupe Empain) et directeur, en l’occurrence, de la Société Générale de Belgique ; son Ministre des Finances, Camille Gutt, était un ancien associé gérant de la Banque Lambert, et avait été président de Ford Belgium. Quant au Ministre « sans portefeuille » Emile Francqui, il avait été gouverneur de la Société Générale de Belgique.
Ce gouvernement restera célèbre dans l’histoire contemporaine de la Belgique sous le nom de « gouvernement des banquiers ». Bien que De Broqueville fût forcé au départ sa réforme bancaire resta.
Plus récemment, c’est la Loi relative au statut et au contrôle des établissements de crédit du 22 mars 1993, inspirée des Directives européennes, qui abroge les dispositions de l’AR de 1934 et a mis en place en Belgique le modèle de « banque universelle ».
Signez sans tarder l’Appel à un Glass-Steagall global
22 août 1934 Arrêté royal
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[1] A cette date, deux autres Arrêtés Royaux ont leur intérêt, l’Arrêté n° 1 relatif a l’extension du crédit et l’Arrêté n° 3 relatif à l’organisation de la Société Nationale de Crédit à l’Industrie