par Karel Vereycken, fondateur d’Agora Erasmus
3 juillet 2012 (Nouvelle Solidarité) — Le 22 janvier, lors de son discours au Bourget, le candidat François Hollande avait désigné comme son adversaire principal une finance « sans visage » dont l’emprise était « devenu un Empire ». « Maîtriser la finance, affirmait-il alors, commencera ici par le vote d’une loi sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités de crédit de leurs opérations spéculatives. Aucune banque française ne pourra avoir de présence dans les paradis fiscaux. Les produits financiers toxiques, c’est-à-dire sans lien avec les nécessités de l’économie réelle seront purement et simplement interdits. Les stocks options seront supprimées ».
Alors que ce discours fut sans doute bénéfique pour sa popularité, les milieux financiers, et pas seulement à Paris, s’inquiétaient rapidement sur les véritables intentions du candidat : s’agissait-il d’une figure de style ou d’une véritable intention de rupture avec la mainmise d’une finance omnipuissante à l’origine d’une crise qui pulvérise dans toute l’Europe la plupart des acquis de l’après-guerre, comme le droit au travail, au logement, à la santé, à l’éducation, etc. ?
Cependant, face à la menace potentielle d’une réforme aux contours flous, les grandes banques françaises ont bataillé ferme pour verrouiller le château. Assez rapidement, elles se sont rendues compte qu’« au bout du compte, tout le débat tourne autour de questions de terminologie, pour savoir ce qui est ’risqué’ et ce qui ne l’est pas. (…) Et on en arrive à la conclusion que les choses ne changeront pas beaucoup ». Un haut responsable d’une banque française, cité dans La Tribune, a précisé : « Quand on discute avec les proches de François Hollande et qu’on essaie de déterminer ce que sont les activités spéculatives, on constate vite que cela ne concerne que quelques activités. »
Engagé dans une véritable croisade pour défendre la « finance folle », Frédéric Oudéa, PDG de la Société Générale et président de la Fédération bancaire française (FBF), n’a pas ménagé ses peines pour défendre son modèle de « la banque universelle » en faisant croire que c’est précisément le mariage entre activités spéculatives et activités classiques qui est le meilleur garant des dépôts, voire la clé pour la croissance !
Certains syndicats ont même eu le toupet de faire valoir que la séparation des banques était une menace pour l’emploi ! Et Hollande, avant de se rendre à Londres, avait cru bon de lancer, devant un parterre de journalistes de la presse anglo-américaine réuni à Paris, sa petite phrase désormais célèbre : « I’m not dangerous ».
Or, la faillite du système financier mondial exige précisément qu’un pays, ou encore mieux un ensemble de pays, entame au plus vite une procédure de mise en faillite ordonnée du secteur financier, une procédure qui passe inexorablement par des audits parlementaires sur les actifs et dettes toxiques, dont une partie, celle liée aux spéculations folles, devra passer par pertes et profits, et par le retour intégral au « principe » du Glass-Steagall Act.
Imposé par le Président américain Franklin Delano Roosevelt en 1933, cette loi organisait la séparation stricte entre d’une part des banques de dépôts au service des ménages, des entreprises, des collectivités territoriales et l’économie réelle, et d’autre part, des banques d’affaires spéculatives, libre de prendre leurs profits mais surtout… leurs pertes en cas de paris malheureux. Si les banques de dépôts, centrale au fonctionnement de l’économie, car chargées d’assurer le système de paiement au service de l’intérêt général, méritent le soutien de l’Etat, il en va autrement pour les banques d’affaires.
En réalité, Hollande s’est clairement prononcé contre la solution « Glass-Steagall ». Interrogé par Libération le 19 avril il précisa : « Je veux séparer au sein de chaque établissement les activités de crédit, de dépôt et celles dites de spéculation. Il n’y a pas besoin de séparer les établissements. Des produits financiers seront interdits : les CDS à nu et les produits détachés de l’économie réelle. Aucune activité de placement spéculatif ne pourra être financée à partir des dépôts des Français »
Deux mois plus tard, le 15 juin 2012, dans un entretien avec La Tribune, Oudéa, après avoir pris langue avec Pierre Moscovici, déclara que « Quant au cloisonnement des activités, j’ai l’impression en ce début du mois de juin qu’aucun pays ne va mettre en œuvre un Glass-Steagall Act qui conduirait à une séparation stricte entre les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement, ni au Royaume-Uni, ni aux Etats-Unis, ni à mon avis en Europe ».
Hollande et ses conseillers, s’ils veulent être en conformité avec les intentions affichées au Bourget, doivent comprendre que rien d’autre que le rétablissement du Glass-Steagall original ne marchera. Et surtout que la finance folle se démène comme des beaux diables pour promouvoir des solutions présentées comme « moins radicales » (pour elle), tout en prétendant qu’elles offriront « les mêmes solutions » et qu’elles seront « plus facile à mettre en place » et à « faire accepter ». Or, rien n’est plus faux.
En vérité, depuis la faillite de Lehman Brothers du 15 septembre 2008, un nombre croissant d’économistes, d’actionnaires, de responsables des agences de régulation, des banques centrales et des commissions parlementaires, et même un certain nombre de banquiers pratiquant les activités classiques des banques commerciales (collecte de dépôt et crédit à l’économie), s’accorde pour reconnaître que le retour à Glass-Steagall est la seule mesure capable de « mettre de l’ordre » dans un système devenue incontrôlable et suicidaire.
Ainsi, soulignons que les options que M. Oudéa et consorts présentent avec élégance comme des « alternatives » à Glass-Steagall, c’est-à-dire la « Règle Volcker » et les recommandations du rapport Vickers (voir encadré ci-dessous) ne sont rien d’autre que des stratagèmes conçus pour empêcher la mise en œuvre du Glass-Steagall !
Or, comme l’ont démontré les pertes abyssales provoquées par des traders comme Jérôme Kerviel à la Société Générale ou la « baleine de Londres » chez JP Morgan Chase, ou encore le scandale récent de la manipulation des taux LIBOR et EURIBOR par les banques de Londres, c’est bien le mélange des genres et le conflit d’intérêt structurel, inhérent au modèle de « banque universelle » qui représentent un risque systémique de premier ordre.
Il est temps donc de saisir votre plume et d’envoyer cet article à votre député. Pour l’instant, d’après le Journal officiel du 27 juin, aucun texte sur la réforme bancaire ne sera introduit lors de la session parlementaire de cet été. Bien que pour nous, aucune autre réforme n’a une telle priorité, étant donné la confusion, l’incompétence et la division qui règnent dans le camp de Hollande, remettre cette réforme à l’automne est peut-être la meilleure idée si cela nous laisse le temps de raisonner nos responsables car si leur avenir en dépend, c’est surtout le notre et celui de nos enfants qui est en jeu !
SIGNEZ DES MAINTENANT NOTRE APPEL A UN GLASS-STEAGALL GLOBAL
Decryptage : 2. REGLE VOLCKER 3. OPTION VICKERS Actualité |
[1] Ainsi, la création du FDIC (Agence fédérale de garanti des dépôts), garantissant jusqu’à un certain montant les sommes déposées par les déposants, n’a pas été une mesure de protection prise de manière isolée, mais un élément de la logique du Banking Act de Roosevelt, qui a instauré le Glass-Steagall.
[2] A titre d’exemple, elle fut partiellement mise en oeuvre en Belgique en 1934 par le Premier ministre Charles de Broqueville séparant la Société générale (banque d’affaires) de la Société générale de Banque (banque de dépôts et de crédit)