Comprendre les nouvelles lois de « Résolution bancaire »
par Karel Vereycken et Johanna Clerc
La plupart des textes en discussion, visant à remplacer les procédures de faillite bancaire habituelles par des plans de « résolution bancaire », émanent directement de ceux émis par la Banque des règlements internationaux (BRI), ou en sont une fidèle copie. Alors que la BRI n’est pas supposée se mêler de politique, on se rend compte qu’à travers son Conseil de stabilité financière, c’est elle qui non seulement a établi la feuille de route, mais s’est installée à la place du chauffeur.
A. L’original de la BRI
En février 1999, lors du sommet des ministres des Finances et des banques centrales du G7 à Farnesina, en Italie, a été créé le Forum de stabilité financière (FSF) présidé par Andrew Crockett, directeur général de la Banque des règlements internationaux (BRI). En 2007, ce poste échoit à Mario Draghi, ancien directeur de Goldman Sachs Europe et gouverneur de la Banque d’Italie.
Pourquoi cette nouvelle institution ? Suite à la faillite du fonds spéculatif LTCM en 1998, une partie de l’oligarchie financière prend conscience de l’immense danger que représente l’interconnexion entre les grandes banques du monde. On constate qu’à l’instar d’une cordée d’alpinistes, si l’un des grands acteurs financiers tombe, les autres l’accompagneront dans sa chute. C’est ce qu’on baptisera le « risque systémique » posé par les « banques systémiques ».
Dès 1999, Stephen Grenville, le vice-gouverneur de la banque centrale d’Australie, rapporte que tous les experts planchent sur l’idée d’un bail-in du secteur privé. Pour cela, avance Grenville, deux conditions sont nécessaires : d’abord une autorité qui fixe la date et l’heure de la mise en faillite de la banque, ensuite une méthode pour « fermer la porte », « garantissant qu’une fois la faillite déclarée, aucun créditeur ne puisse obtenir un traitement préférentiel et soit obligé de s’asseoir autour de la table ».
Avec la chute de Lehman Brothers, la quatrième banque des Etats-Unis dont la mise en faillite chaotique faillit emporter tout le système, le sujet est revenu brutalement sur la table. Ainsi, six mois plus tard, lors du sommet de Londres (avril 2009), les chefs d’Etat et de gouvernement du G20 décident de transformer le FSF en Conseil de stabilité financière - CSF (Financial Stability Board – FSB). Mario Draghi, président du FSF, en sera le patron avant de succéder en 2011 à Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque centrale européenne (BCE).
Vient alors l’heure d’accélérer le tempo et surtout d’éviter qu’un nouveau Glass-Steagall ne vienne troubler la fête. Ainsi, lors du G20 de novembre 2010, à la demande des chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Séoul, en Corée, le CSF met sur pied un groupe de travail sur les nouvelles techniques de « résolution bancaire ». Il s’ensuit une série de rapports du CSF, en particulier le document consultatif Effective Resolution of Systemically Important Institutions, recommandations and timelines du 19 juillet 2011, précisant la démarche à adopter et dans quelle période de temps. Estimée pour le sérieux de ses études et statistiques, les rapports de la BRI sont toujours considérés comme une référence de premier ordre pour tous les experts examinant un tel sujet.
Finie l’époque où les Etats étaient obligés de payer les pots cassés. En complément d’une politique de renflouement externe (bail-out), le CSF conseille le renflouement interne (bail-in). Passeront à la caisse pour sauver leur banque en difficulté, les actionnaires, les créanciers obligataires et les déposants !
L’idée du CSF est simple : comme dans les années 1930, mettre les systèmes bancaires de tous les pays sous l’autorité d’une entité supranationale composée de techniciens de la finance, le CSF, lui-même un bras de la BRI. Il coordonnerait les organismes nationaux, composés eux aussi de techniciens et capables d’intervenir très vite pour appliquer le bail-in aux banques en faillite. Ils court-circuiteraient donc toute délibération politique en décidant qui devra payer pour garantir la stabilité financière internationale qui convient à l’oligarchie.
Depuis le 28 janvier 2013, le CSF, qui était jusqu’alors une structure informelle sans personnalité juridique, s’est transformé en association de droit suisse. Officiellement, il s’agit de pérenniser l’institution afin de renforcer sa capacité de coordination internationale et de mise en œuvre des réformes de régulation financière.
Le CSF reste hébergé et principalement financé par la BRI, ses autres membres pouvant contribuer à ses ressources. Il s’appuie sur un secrétariat permanent d’une vingtaine de personnes, basé à Bâle en Suisse.
Pour la France, Ramon Fernandez, Directeur général du Trésor et de la politique économique, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président du Conseil d’administration de la BRI, ainsi que Gérard Rameix en tant que président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), sont membres du CSF.
Sans surprise, la loi de réforme bancaire Moscovici, élaborée entre les grandes banques et les équipes de Bercy, prévoit que c’est à ces trois personnes que reviendront en France tous les pouvoirs pour gérer la faillite d’une banque systémique en difficulté. Comme le disent nos amis les banquiers : « Le temps des marchés n’est pas le temps de la démocratie. »
B. Les copies
1. France : la réforme bancaire de Moscovici
Le projet de réforme bancaire discuté depuis février à l’Assemblée nationale et au Sénat prévoit, dans son titre II, un « régime de résolution bancaire ». Actionnaires, créanciers, dépôts non garantis (ce qui inclut les produits d’épargne tels que les SICAV ou les FCP) pourront être mis à contribution. Ces « résolutions » se feront sans consultation du Parlement, entre Bercy, la Banque de France et le Trésor. La loi prévoit de fusionner le Fonds de garantie des dépôts (déjà largement sous-doté) avec le nouveau Fonds de résolution, ce qui pourrait aboutir de facto à l’anéantissement de la garantie publique pour les dépôts inférieurs à 100 000 euros.
2. Etats-Unis : la loi Dodd-Frank
Les Parlementaires américains continuent à tenir des auditions pour tenter de comprendre la loi Dodd-Frank qu’ils ont votée le 21 juillet 2010. Ce texte, qui aurait été écrit par les banquiers de Citigroup, comporte 848 pages, auxquelles s’ajoutent 8000 pages de réglementations. Un rapport écrit conjointement par la Banque d’Angleterre et le FDIC en décembre 2010 clarifie les choses : le titre II de la loi donne au FDIC (Agence fédérale de garantie des dépôts) l’autorité pour mettre en place le bail-in (l’Angleterre a elle aussi mis en place une entité similaire, présidée par le chef de la Banque d’Angleterre). Et comme en France, le fonds chargé de garantir les dépôts sera fusionné au fonds destiné à payer les dettes de la banque en faillite.
3. Union européenne
Le 20 mai, la Commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen, présidée par la Britannique Sharon Bowles, a adopté les grandes lignes de la proposition de « résolution bancaire » présentée par Michel Barnier le 6 juin 2012. Le communiqué titre fièrement : « Ne faire appel aux contribuables et aux épargnants pour sauver les banques qu’en dernier ressort » ! Le texte doit encore être voté au Parlement européen puis approuvé par le Conseil européen.
Le 5 juin, dans la foulée de l’entente récente entre Hollande et Merkel, un mécanisme a été mis au point pour l’instauration d’une Union bancaire, combinée à une Autorité de résolution bancaire à l’échelle de toute l’Europe.
Selon le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), ce mécanisme aurait l’aval du ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, et du Commissaire européen au marché intérieur Michel Barnier, ainsi que des gouvernements français et allemands. Selon certaines sources, il placerait la future Autorité de résolution sous les ordres de la Commission européenne. Ainsi, aucune agence nationale pour les résolutions bancaires ne sera créée et les pouvoirs en ce domaine seront transférés des autorités nationales vers la Commission.
Cette dernière, à travers l’Autorité de résolution, aura le pouvoir de décréter les résolutions par voie de renflouement externe (bail-out, aux frais du contribuable) et interne (bail-in, en spoliant les épargnants) et disposera d’un fonds lui permettant d’émettre des obligations sur les marchés pour les financer.
C. Le laboratoire
1. Chypre
En mars 2012, les deux plus grandes banques de Chypre, Laïki et la Bank of Cyprus (BoC), font défaut. Elles sont mises sous « résolution bancaire ». La Laïki est liquidée aux dépens de ses actionnaires, de ses créanciers et des dépôts au delà de 100 000 euros. Ses actifs sains sont transférés à la BoC, avec les dépôts inférieurs à 100 000 euros et 9,5 milliards d’euros de dette envers la BCE. La BoC est recapitalisée par la conversion en actions de 37,5 % des dépôts non garantis et la mise à contribution des actionnaires et des créanciers.
Le résultat ? La plupart des oligarques russes, prévenus à temps, ont retiré leurs fonds avant la saisie. Par contre, les entreprises chypriotes sont touchées de plein fouet : épiceries, supermarchés, restaurants, entreprises du bâtiment mettent la clé sous la porte ou licencient en masse. Un article récent du Figaro mentionne le cas d’un agriculteur qui élève ses brebis sur les collines proches de Nicosie et exporte du halloumi, le fromage traditionnel. « Avec une association de 239 éleveurs, nous avions placé 7 millions d’euros à la Laïki. Nous avons tout perdu. »
Reprenant les propos de Jeroen Dijsselbloem (le président de l’Eurogroupe), de nombreux responsables européens (Klaas Knot, Benoît Cœuré, membres du directoire de la BCE, Chantal Hughes, porte-parole de Michel Barnier, Olli Rehn et plusieurs membres du Parlement européen) ont confirmé que la solution infligée à Chypre deviendrait la règle pour toute l’Europe.
2. Espagne
200 000 épargnants de Bankia, une banque formée en décembre 2010 dans le cadre de la restructuration de 7 caisses d’épargne régionales plombées par la crise immobilière, ont été spoliés de leur épargne le 28 mai 2013, lorsque le cours des actions « préférentielles » qu’on leur avait frauduleusement refilées en juillet 2011 s’est effondré de près de 60 % dès la première journée de transactions.
Un an plus tôt, le 11 mai 2012, les autorités espagnoles avaient déjà, sur ordre de la Troïka (UE-BCE-FMI), imposé une coupe de 38 % dans la valeur de ces actions et suspendu leur cours sur les marchés pour une durée d’un an, de mai 2012 à mai 2013. Lorsque les transactions ont repris le 21 mai dernier pour les investisseurs institutionnels, ceux-ci ont pu vendre leurs actions au cours de 1,35 euro promis par les autorités, avant que le prix ne s’effondre à 0,57 euros une semaine plus tard, le 28 mai, jour de la reprise des transactions pour les détenteurs individuels. Ainsi, les épargnants, qui détenaient au matin du 28 mai quelque 5 milliards d’euros sur un total de 6,85 milliards, ont assisté, impuissants, au vol de 3 milliards d’euros de leur épargne (60 % du montant de mai 2012). Toutefois, comparé au prix d’introduction de juillet 2011, qui était de 3,68 euros, le montant total de l’épargne ainsi détournée représente environ 11,5 milliards d’euros, soit 57 500 euros en moyenne par personne !
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